Quelques pages du livre :
50 HISTOIRES
Nicolas le colporteur
LE COMMUNIANT
La tradition chrétienne du pays faisait que des cérémonies
régulières s’effectuaient et permettaient de se repérer dans l’année. Périodes
incontournables tout le monde, ou presque, respectait ces usages. Chaque saison
avait sa célébration.
S’y ajoutaient les mariages, baptêmes et offices pour un
deuil. Personne ne se soustrayait aux fêtes de Pâques et de Noël.
S‘intercalaient les processions, les hommages et vénérations aux saints. La foi
religieuse guidait les citoyens de toutes conditions.
Nicolas, croyant lui-même, ne manquait jamais une occasion de
montrer son respect des pratiques spirituelles. Il était même souvent demandé
lors des unions, onctions et enterrements. Sa participation confortait les
participants qui voyaient en lui un homme sage, plein d’expériences diverses
honorables, et accompli aux coutumes convenables et décentes.
C’était une
présence familière nécessaire à l’harmonie de la circonstance. Sans être un
saint il inspirait cependant une forme de sérénité bienveillante. Nicolas raconta
l’histoire suivante :
En passant dans un village situé près d’une rivière sinueuse,
ce qui avait eu pour effet de voir les habitations souvent très proches les
unes des autres, il lui fut demandé de rester quelques jours pour la
célébration de la communion solennelle. Le village était florissant par toutes
ses activités agricoles, artisanales et c’était les débuts de l’ère
industrielle.
Les familles qui avaient des enfants âgés d’environ douze ans se
devaient de participer à cette cérémonie. Les jeunes savaient qu’ils seraient ce
jour-là bénis tant par le prêtre que par leurs proches. Ils n’ignoraient pas
non plus que cette journée serait pour eux un tournant dans leur vie.
Les
parents et toute la dynastie avaient des égards en les soignant au mieux dans
leur habillement, les garçons en costume souvent pour la première fois, avec
une cravate sur une chemise blanche et en leur offrant un brassard éclatant, en
robe blanche avec une coiffe pour les filles, sans oublier un beau missel et un
chapelet pour l’évènement.
C’était un passage important dans leur enfance. Certains
d’entre eux garderont toute leur existence ces objets par respect ou nostalgie
de leur jeunesse. Lors de la procession pour aller à l’église ils devaient tous
tenir un long cierge immaculé dans une main gantée blanche. Symbole de la
lumière chrétienne qui veille sur les humains il restait dans la famille après
la communion et devait être rallumé aux occasions importantes de la vie avec la
confirmation, le mariage mais aussi les funérailles.
A cet effet des parents d’un jeune garçon en âge de faire
cette première communion se mobilisèrent pour lui fournir plus que le
nécessaire. L’enfant qui allait devenir un jeune homme par ce sacrement devait
être parfait pour ce jour-là. S’étalait aussi une fierté avec un peu de
suffisance dans la tenue du jour pour rivaliser avec les autres participants.
Tout fut réglé au mieux et la célébration arriva. Il fallait
être prêt pour le cortège et ne pas rater l’heure du lieu de rassemblement. Le
communiant qui s’appelait Jacques était un peu fébrile et ses parents de même.
Enfin habillé, coiffé, chaussures noires cirées, revêtu du brassard, le livre
saint et le chapelet dans la main gauche gantée il ne manquait plus que le
cierge.
Il sortit de la maison et attendit. Par un malheureux faux pas le père
en franchissant le seuil se tordit la cheville et se retrouva à genoux. A cause
de cette circonstance il lâcha la longue bougie qui se fracassa au sol. Tout le
monde était anéanti ! Comment faire pour continuer ? Chacune des personnes
présentes se mit à chercher une solution.
La procession commença avec Jacques car son oncle, homme futé,
eut une idée qui fut vite mise en application. Il avait dans sa menuiserie des
tourillons en hêtre déjà peints en blanc. Il maquilla au mieux les extrémités,
fora la partie supérieure et il fixa une mèche pour l’illusion.
Tout alla pour
le mieux, personne ne se douta du stratagème. Sauf que même allumée la flamme
ne dura que quelques instants. Certains y virent un signe de dénégation,
d’autres furent surpris et quelques-uns comprirent l’artifice.
Toujours est-il
que Jacques fit sa première communion comme les autres et c’était là l’essentiel.

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LE COLPORTEUR
Dans la profession de colporteur, comme dans toutes les
autres, existe une minorité de personnes n’ayant rien à y faire, soit par
incompétence, soit par désir excessif du profit au-delà du service à rendre.
Nicolas jusqu’à ce jour n’avait qu’à se louer de ses relations avec ses
confrères.
Ceux-ci participaient également à maintenir les échanges pour et par
le respect habituel dans la corporation. Personne n’empiétait sur le terrain de
l’autre mais parfois ils pouvaient se retrouver dans une commune pour vendre
des produits différents ou pour le bénéfice de chacun. La loyauté était
permanente dans une courtoisie respective.
Le colporteur est un démarcheur, brocanteur ou sauveteur,
mais toujours à l’écoute de la demande dans l’air du temps ou occasionnellement
vendeur d’articles insolites ou peu communs. Dans sa hotte, appelée aussi balle
(en bois), ses marchandises étaient très diverses.
Il proposait du tissu, du
linge, des rubans et des toiles avec de la mercerie mais aussi des images de
toutes sortes dont celles d’Epinal, des cahiers et matériel d’écolier, et au
gré des requêtes des onguents, potions, pommades et articles de soins
corporels. Selon la période de l’année il distribuait des jouets, des sujets
religieux ou de la coutellerie lorsqu’il savait qu’une foire avait lieu sur son
trajet.
C’était un métier difficile, à risques, très aléatoire quant
aux revenus financiers. Certains clients payaient quelquefois en nature par une
poule, lapin ou autre animal. Dans ces cas-là Nicolas s’empressait de revendre
la bête ne pouvant s’encombrer de celle-ci. Tout colporteur était censé savoir
lire et écrire et être déclaré.
Peu d’entre eux étaient dans ce cas pour éviter
un contrôle et payer la taxe professionnelle. L’activité était organisée de
façon à répartir au mieux les territoires pour une harmonie de vente sans
exclusivité.
Au cours de l’une de ses tournées Nicolas entendit parler
d’un cambriolage qui avait eu lieu peu de temps après son passage dans un
village. Les on-dit, ragots, calomnies et médisances étaient quelquefois
attribués aux colporteurs ou nomades de toutes sortes.
C’était un moyen de
responsabiliser quelqu’un qui n’était pas du pays et de lui affecter méfaits et
forfaits. La source de ces racontars provenait souvent du réel fautif du délit.
Ainsi cette personne écartait les éventuels soupçons pouvant lui être imputés.
L’exaction constatée par la maréchaussée il fallait trouver
le coupable. Une ferme avait été visitée et dévastée pendant l’absence du
paysan et de sa famille partis au champ pour la moisson. Avaient été volés les
objets ayant un peu de valeur comme les chandeliers, la pendule, les modestes
bijoux, et même les chenets de la cheminée.
Mais tout avait été chamboulé dans
le logement, le ou les intrus cherchaient peut être l’argent, les pièces d’or
ou les Louis. Craintif le paysan n’avait rien laissé d’exceptionnel dans les
pièces où vivait toute la communauté.
Le désordre fut constaté par les gendarmes et une petite
liste fut établie. Allant de communes en communes à cheval ceux-ci firent le
tour des villages proches par prévention et avertissement à la population. Tous
les commerçants itinérants furent inquiétés et fouillés. Nicolas n’échappa pas
à cette confrontation.
Après avoir vidé sa hotte, sa musette et ses poches, il
fut libéré de cette obligation et reçu un sauf-conduit pour éviter un second
désagrément. Bien sûr il pouvait très bien avoir caché le butin ou avoir un
receleur, mais c’est avec l’esprit tranquille qu’il repartit continuer sa
tournée.
Ce n’est que bien des mois après qu’il apprit que l’affaire
avait été élucidée. Le paysan avait manigancé, avec son commis, le cambriolage
afin de ne pas faire profiter sa famille du « trésor » dissimulé dans
la charpente de la ferme. Mais le valet, oublié par le maître, alla raconter sa
mésaventure à la servante du curé qui ne savait pas tenir sa langue.
Évidemment peu de temps après l’autorité publique sut également qu’elle avait été
mystifiée et réagit avec fermeté. Le paysan accusé d’affront envers l’administration
fut condamné à une amende importante et à une astreinte légale de demeurer sur
le territoire pendant au moins une année. Cette dernière sentence dans l’esprit
de le montrer aux villageois en exemple.
Nicolas qui connaissait l’homme ne fut pas trop surpris. Il
continua malgré tout à aller le voir et à traiter avec lui quelques menues
affaires. Après tout, l’avarice est peut-être un défaut mais qui n’en a pas
un !

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LE CHIEN
Partout où Nicolas a pu passer il rencontrait des chiens.
Dans les fermes ils étaient attachés à leur niche. Parfois on les trouvait dans
les étables et même dans les porcheries où ils gardaient les animaux contre le
vol. Rien de plus efficace.
Mais il y avait aussi les chiens errants, ceux qui
avaient été abandonnés par leurs maitres qui ne voulaient pas s’en occuper ou
ceux qui avaient un défaut physique, parfois une tare. A travers les bois et
les forêts ils rodaient à la recherche de nourriture.
C’est pour cette raison que
Nicolas avait toujours son bâton, pour se défendre au cas où il serait attaqué !
Tous les chiens lâchés dans la nature n’étaient pas méchants.
Parfois même ils recherchaient la compagnie de l’homme. C’est ce qui arriva au
colporteur. Un cabot de taille moyenne apparut un jour devant lui sans le
menacer.
Au contraire il semblait content de le voir. Il s’approcha et regarda
Nicolas. Sa bonne tête fit de lui aussitôt un ami. Mais le colporteur ne
voulait pas de compagnie canine. Il avait déjà eu un animal, un âne, qui lui avait procuré
des satisfactions par son aide mais aussi des contraintes à cause de son
entretien journalier.
Aussi il essaya de chasser le chien qui semblait être un
croisé de races nobles. Il reprit sa route désirant semer l’animal mais
celui-ci le suivait de loin. Au bout de quelques temps de marche Nicolas
sentait bien qu’il était talonné.
Il se retourna et aussitôt le chien se
rapprocha. Quoi faire pour s’en débarrasser. Le colporteur prit un bout de bois
trouvé au bord du chemin et le lança au loin. Instinctivement l’animal courut
après et disparut dans la forêt toute proche. Rapidement Nicolas accéléra le pas
et ne se retourna plus.
Mais au détour du chemin le chien était là avec dans sa
gueule le morceau de bois. Il attendait l’arrivée du maître ce que compris
Nicolas qui ne put s’empêcher de sourire. Bon se dit-il on va faire un bout de
chemin ensemble jusqu’au prochain village dont on apercevait le clocher au
loin.
Et les deux comparses désormais réunis par le hasard marchèrent de
concert. Lorsqu’ils arrivèrent ils furent accueillis avec amabilité. Le
colporteur était attendu. C’était pour lui un passage régulier dans la commune
et beaucoup d’habitants le guettaient. Ils n’achetaient pas forcément mais
souvent parlaient avec Nicolas et quelquefois l’invitaient le soir chez eux, où
toute la famille se réunissait, pour l’entendre raconter ses histoires vraies
ou imaginaires.
C’était un personnage important dans la mesure où par ses
connaissances il apportait à tous des nouvelles des villages voisins et aussi
des informations diverses sur l’évolution du pays et des façons de vivre par
ailleurs. Aux veillées tout le monde l’écoutait.
Aux questions il répondait au
mieux avec le plus de vérité possible mais parfois brodait un peu si le sujet
ne lui était pas trop familier. Il ne mentait jamais par respect des auditeurs
et s’il ignorait un thème posé il le faisait savoir. Mais bien souvent c’était
lui qui amenait la conversation et ses contes étaient toujours très écoutés.
Vint le moment où un petit garçon lui posa une question d’une
voix tranquille : « Monsieur, le chien qui est à côté de vous,
comment il s’appelle ? » Pris de court, mystère, quoi répondre se
dit le colporteur, j’ignore tout de cet animal, son âge, son pédigrée, d’où il
vient, que vais-je lui dire à ce gamin. Puis pour ne pas paraître ballot il
répondit : « c’est Hannibal. » « Quel drôle de nom pour un
chien dit le jeunot, ça vient d’où ? ».
Hannibal est d’origine grecque dit Nicolas. Son maître avant
moi vivait loin d’ici. Mais un jour sur le bateau qui les amenait en France une
tempête les fit chavirer et seul ce chien survécut. Il avait nagé jusqu’au
rivage où il fut recueilli par un ami, également colporteur mais qui, âgé, ne
pouvait pas le garder.
Il est avec moi maintenant. Il y a bien longtemps Hannibal
était le nom d’un général qui lutta contre l’empire romain et qui est resté
célèbre pour avoir fait traverser les Alpes à des éléphants avec ses soldats
pour prendre la ville de Rome. A son écoute le garçon comprit tout et s’extasia
sur le récit de Nicolas. Il s’approcha du chien, lui fit une caresse sur la
tête et partit.
Le colporteur n’insista pas, reprit son barda, et se dirigea
vers la maison qui devait le recevoir pour la nuit. Toujours suivi. Mais le
chien resta à l’extérieur du logis et le fermier lui prépara une couche de
paille à l’étable. Il aimait bien les bêtes et les respectait. Elles étaient
pour lui sa raison de vivre et le chien le gardien du cheptel.
Le lendemain en
repartant Nicolas et Hannibal allèrent faire un tour sur la place. C’était jour
de marché et quelques objets furent vendus ou échangés. C’est là que, surprise,
le chien se mit à danser sur ses pattes arrières au son inattendu d’un violon
au détour d’une rue. Les passants s’arrêtèrent, regardèrent et applaudirent en
donnant quelques pièces à Nicolas. Hannibal eut droit à une superbe pâtée. En
fait le chien faisait le cabot.

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